Dernière révision: 2024-10-18
médicament | Child A | Child B | Child C |
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Diltiazem | Utiliser avec précaution, initier à faible dose et titrer lentement | Utiliser avec précaution, initier à faible dose et titrer lentement | Non recommandé |
Vérapamil | Non recommandé | Non recommandé | Non recommandé |
Avis général : il est rare que l’utilisation du diltiazem ou du vérapamil soit justifiée chez les patients cirrhotiques. Dans la majorité des situations, un bêta-bloqueur non sélectif (carvédilol, propranolol ou nadolol) devrait être priorisé.
Hypertension artérielle et cirrhose
Lors du traitement de l’hypertension chez les patients cirrhotiques, il est essentiel de prendre en compte les altérations systémiques et hémodynamiques induites par la maladie. En raison de l'augmentation de la pression dans la veine porte, une vasodilatation des artères splanchniques s'installe, ce qui peut être associé à une augmentation de la résistance vasculaire systémique dans certaines artères par l’activation de mécanisme vasoconstricteurs compensatoires. L'effet sur la résistance vasculaire systémique totale reste incertain, mais la majorité des données indiquent une diminution globale de cette résistance, accompagnée d'une baisse de la pression artérielle, qui s’explique par une résistance aux substances vasopressives. (Henriksen 2006)
Un autre facteur expliquant cette hypotension en cas de cirrhose est l'altération de la sensibilité des barorécepteurs, qui semblent plus réactifs aux substances vasodilatatrices circulantes (NO, CGRP, adrénomédulline, etc.) qu'aux agents vasoconstricteurs (noradrénaline, angiotensine II, vasopressine, etc.). (Moller 2009) Ainsi, des patients initialement hypertendus (essentiels ou secondaires) peuvent devenir normotendus, voire hypotendus, si les traitements antihypertenseurs ne sont pas ajustés au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. (Henriksen 2006) Cependant, une petite fraction de patients atteints de cirrhose, notamment ceux souffrant également de syndrôme métabolique, peut présenter de l’hypertension artérielle. À ce jour, il existe peu de données soutenant l’utilisation des inhibiteurs calciques non dihydropyridiniques (BCC non-DHP) chez ces patients. Plusieurs études cliniques ont examiné l'effet du vérapamil sur la pression portale, sans démontrer de réduction clinique significative. (Hadengue 1989)(Vinel, 1989)(Navasa 1988)(Dinç 1996) Actuellement, les bêta-bloqueurs non sélectifs demeurent le traitement de choix pour l’hypertension artérielle en contexte de cirrhose, en raison de leur double effet, incluant la réduction de la pression portale. (Laleman 2006)
Fibrillation auriculaire
La fibrillation auriculaire (FA) demeure l'arythmie la plus fréquente, avec une prévalence chez les patients cirrhotiques estimée entre 6,6 % et 14,2 %. (Vandenberk 2023) Plusieurs mécanismes pathophysiologiques propres à la cirrhose peuvent expliquer la survenue de la FA. Parmi ceux-ci, on retrouve une circulation hyperdynamique induite par l’hypertension portale, qui contribue au développement de cardiomyopathies (notamment par l’augmentation du volume de l’oreillette gauche), du syndrome hépato-rénal (provoquant des déséquilibres électrolytiques et un remodelage cardiaque), de l'activation sympathique (via la stimulation du système rénine-angiotensine-aldostérone) et de l'élévation des marqueurs inflammatoires. De plus, une consommation excessive d'alcool augmente également le risque de survenue d’arythmies cardiaques. Pour le contrôle de la fréquence cardiaque en cas de FA, les inhibiteurs calciques non dihydropyridiniques (BCC non-DHP) peuvent être utilisés, bien qu'ils ne présentent pas d’avantages significatifs par rapport aux bêta-bloquants, qui demeurent les traitements de première ligne, y compris chez les patients atteints de cirrhose. (Vandenberk 2023)
Absorption |
Comprimés à libération régulière :
Dose de comprimés à libération prolongée de 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) Insuffisance hépatique
Dose de comprimés à libération prolongée de 30 mg à 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) |
Distribution |
Liaison protéique : 70 % à 80 %
Dose de comprimés à libération prolongée de 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) Insuffisance hépatique
Dose de comprimés à libération prolongée de 30 mg à 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) |
Métabolisme |
Métabolisme hépatique Insuffisance hépatiqueAbsence de données |
Élimination |
Dose de comprimés à libération prolongée de 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) Élimination rénale (2 % à 4 % sous forme inchangée dans l’urine) et élimination dans les fèces Insuffisance hépatique
Dose de comprimés à libération prolongée de 30 mg à 60 mg per os trois fois par jour (normalisé pour 180 mg/jour de diltiazem) (Kurosawa 1988) |
Recommandations de la monographie |
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Faire preuve de prudence lors de l’administration du diltiazem à des patients atteints d’insuffisance hépatique. Il est recommandé de surveiller les paramètres de laboratoire relatifs à la fonction hépatique et de procéder à l’augmentation progressive de la dose avec prudence. |
Kurosawa et collaborateurs ont étudié la pharmacocinétique du diltiazem à libération prolongée chez 7 patients cirrhotiques comparés à 7 sujets sains. Les patients sains ont reçu une dose de diltiazem (comprimé à libération prolongée) 60 mg par voie orale, trois fois par jour (soit 180 mg/jour), tandis que trois des patients avec dysfonction hépatique sévère ont reçu une dose réduite de 30 mg trois fois par jour (90 mg/jour) et les quatre autres ont reçu 60 mg trois fois par jour (180 mg/jour), comme les sujets sains. Tous les patients prenaient déjà du diltiazem depuis plus d’un mois. Les patients cirrhotiques n’ont pas été classifiés selon le score de Child-Pugh, mais leur diagnostic était basé sur des données biochimiques et une biopsie. Parmi eux, trois souffraient de cirrhose virale et quatre de cirrhose alcoolique. L’étude a révélé une augmentation significative de la concentration maximale sérique du diltiazem chez les patients cirrhotiques (335 nmol/L) par rapport aux sujets sains (280 nmol/L ; p < 0,05). Aucune différence significative n'a été observée concernant la constante d'absorption (ka) et le volume de distribution ajusté à la biodisponibilité (Vd/F). Toutefois, la constante d’élimination (ke) avait une tendance à être diminuée chez les cirrhotiques, entraînant un allongement de la demi-vie (T1/2) à 7,2 ± 0,6 heures, contre 5,3 ± 0,9 heures chez les sujets sains (p < 0,1). Les auteurs suggèrent que cette diminution de l’élimination pourrait être liée à une altération du métabolisme oxydatif du diltiazem chez les patients cirrhotiques. Aucun effet indésirable n’a été observé chez ces derniers au cours de l’étude, qui reste à ce jour la seule évaluation pharmacocinétique du diltiazem chez les patients atteints d’insuffisance hépatique. (Kurosawa 1988)
Belpaire et collaborateurs ont étudié la liaison aux protéines plasmatiques (albumine et alpha-1 glycoprotéine acide) du diltiazem administré par voie intraveineuse chez plusieurs groupes, dont 11 patients cirrhotiques. Le degré de cirrhose n’a pas été précisé, mais tous les participants avaient reçu un diagnostic de cirrhose sur la base de marqueurs biologiques et cliniques. Chez ces patients, la concentration d’alpha-1 glycoprotéine acide (AAG) et d’albumine était significativement plus basse que chez les sujets sains (AAG : 584 ± 79 vs 798 ± 34 ; p < 0,01 et albumine : 3,38 ± 0,32 vs 4,73 ± 0,07 ; p < 0,001), ce qui était corrélé avec une fraction libre de diltiazem plus élevée chez les patients atteints de cirrhose (37,0 ± 3,2 % vs 25,5 ± 0,5 % ; p < 0,001). Ainsi, une diminution des niveaux de protéines plasmatiques liant le diltiazem peut survenir en présence de cirrhose. Ceci entraîne une augmentation de la concentration libre du médicament. (Belpaire 1990)
Tözün et collaborateurs ont étudié chez 7 patients atteints de cirrhose virale l'effet du diltiazem sur la fonction rénale, le système rénine-angiotensine-aldostérone (RAA) et le facteur natriurétique auriculaire (ANF). La cirrhose était confirmée par biopsie ou laparoscopie et le groupe étudié comprenait 4 patients de classe B et 3 de classe A, selon le score de Child-Pugh. L'hépatite B était l'étiologie chez 6 patients, et l'hépatite C chez 1. Aucun des patients ne présentait d'encéphalopathie hépatique. Ils ont reçu un placebo pendant 15 jours, suivi de diltiazem oral à 30 mg trois fois par jour pendant 15 jours. La fréquence cardiaque a significativement diminué, passant de 77,29 ± 2,61 bpm sous placebo à 68,29 ± 3,28 bpm après la première semaine (p < 0,01), et à 71,57 ± 1,82 bpm après la deuxième semaine (p < 0,05). La pression artérielle moyenne n'a pas montré de variation significative. Le diltiazem n'a pas exercé d'effet significatif sur la diurèse, la natriurèse, l'axe RAA ou l'ANF chez les patients cirrhotiques. Aucun effet indésirable majeur nécessitant l'arrêt du traitement n'a été observé. Un léger œdème à la cheville a été signalé chez un patient, tandis que deux autres ont rapporté des céphalées. (Tözün 1991)
Deux rapports de cas ont décrit des effets indésirables graves chez des patients atteints d’insuffisance hépatique sous diltiazem. Deng et collaborateurs ont rapporté un cas d’hépatite hypoxique chez un patient ayant reçu du diltiazem intraveineux (20 mg en bolus puis à un débit de 10 mg/h) pour une fibrillation auriculaire de novo. Le patient a présenté une hypotension (80/50 mmHg) environ 15 heures après l’administration, avec un retour à la normale après l’arrêt du traitement. À son admission, le patient n’avait pas de diagnostic préalable de cirrhose dans ses antécédents médicaux, bien qu'il ait admis une consommation chronique d’alcool. Une congestion hépatique, secondaire à une dysfonction ventriculaire droite, a conduit les cliniciens à découvrir la présence d'une cirrhose. Les auteurs ont alors émis l'hypothèse que la dysfonction hépatique avait altéré l’élimination du diltiazem, contribuant ainsi à l’épisode d’hépatite hypoxique. (Deng 2013) De Winter et collaborateurs ont décrit un choc cardiogénique chez un patient cirrhotique (score Child-Pugh B8) trois jours après la pose d’un shunt porto-systémique intrahépatique (TIPS). Ce patient prenait du diltiazem à libération prolongée 300 mg, du bisoprolol 2,5 mg et du propranolol 10 mg deux fois par jour à domicile. Le patient a développé une bradycardie sinusale sévère, possiblement due à une intoxication combinée aux bêta-bloquants et au diltiazem. Les auteurs suggèrent également que la pose du TIPS aurait pu augmenter la biodisponibilité du diltiazem, contribuant ainsi à cet épisode. (De Winter 2013)
En conclusion, il semble prudent d’initier ou de maintenir les patients cirrhotiques de degré léger à modéré sous diltiazem, mais à des doses plus faibles que celles habituellement recommandées. Un suivi rapproché de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque est essentiel afin de prévenir les complications et intoxications graves. Pour les patients souffrant de cirrhose sévère, l’usage du diltiazem ne peut pas être recommandé étant donné l’absence de données et le profil pharmacocinétique de la molécule. En fonction de l'indication, il peut être préférable de privilégier des alternatives mieux étudiées dans le contexte de la cirrhose, telles que les bêta-bloqueurs non sélectifs, qui offrent également des avantages sur certaines complications liées à cette maladie.
Absorption |
Comprimés à libération régulière :
Dose unique de 80 mg per os (Somogyi 1981) Insuffisance hépatique
Dose unique de 40 mg per os (Somogyi 1981) |
Distribution |
Liaison protéique : 90 %
Dose unique de 80 mg per os (Somogyi 1981) Insuffisance hépatique
Dose unique de 40 mg per os (Somogyi 1981) |
Métabolisme |
Métabolisme hépatique extensif Insuffisance hépatiqueAbsence de données |
Élimination |
Monographie (dose unique)
Dose unique de 80 mg per os (Somogyi 1981) Élimination rénale (3 à 4 % sous forme inchangée, 70 % sous forme de métabolites). Élimination par les fèces (≥ 16 %). Insuffisance hépatique
Dose unique de 40 mg per os (Somogyi 1981) |
Recommandations de la monographie |
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Étant donné que le vérapamil est fortement métabolisé par le foie, on doit l’administrer avec prudence en cas d’insuffisance hépatique, car la demi-vie d’élimination du vérapamil est quadruplée chez ces patients (de 3,7 à 14,2 heures). On doit diminuer la dose et exercer une surveillance attentive dans le but de détecter tout allongement anormal de l’intervalle PR ou tout autre signe d’un effet médicamenteux exagéré. |
Somogyi et collaborateurs ont étudié la pharmacocinétique et les modifications de l’ECG induites par le vérapamil chez 7 patients atteints de cirrhose et 6 patients sains. Les patients cirrhotiques, diagnostiqués par histologie (étiologie post-infectieuse ou alcoolique), étaient admis initialement pour saignement oesophagien excessif. Aucun signe d'ascite ou de dysfonction de la conduction auriculo-ventriculaire n’a été observé. Deux d'entre eux avaient subi un shunt méso-caval deux semaines avant l’étude (confirmé par angiographie). Quatre patients étaient fumeurs, mais ils ont été restreints de fumer dans le contexte de l’étude pour éviter l’impact sur la prolongation de l'intervalle PR. Le score Child-Pugh des patients n’a pas été calculé, mais à partir des données fournies par les auteurs, le degré de cirrhose estimé pour les patients était de niveau léger (Child-Pugh A). Dans le groupe sain, une dose IV de 10 mg de vérapamil a été administrée en 5 minutes, suivie 30 minutes plus tard d’une dose orale de 80 mg. Dans le groupe cirrhotique, la dose IV était identique, mais la dose orale a été réduite à 40 mg pour éviter une réponse exagérée due à l'augmentation anticipée de la biodisponibilité. Pour les résultats de la dose IV, la concentration plasmatique à l’état d’équilibre était environ deux fois plus élevée chez les patients cirrhotiques que chez les patients sains (selon la figure 1 disponible dans l’étude). Le volume de distribution à l’état d’équilibre était 49 % plus élevé chez les cirrhotiques (p < 0,1), et la clairance plasmatique totale était significativement réduite en cirrhose (616,4 mL/min (45,3 % de coefficient de variation) contre 1258,0 mL/min (15,4 % de coefficient de variation) ; p < 0,0025). Cela a entraîné un allongement significatif de la demi-vie terminale du vérapamil chez les cirrhotiques (14,18 heures contre 3,69 heures ; p < 0,001). Les auteurs recommandent donc de réduire de moitié la dose IV de vérapamil chez les patients présentant une insuffisance hépatique. Pour les résultats de la dose orale, malgré une dose orale réduite, la concentration maximale observée chez les patients cirrhotiques était significativement plus élevée (134,5 ng/mL (86,5% de coefficient de variation) contre 38,6 ng/mL (63,8 % de coefficient de variation) ; p < 0,05), et le temps pour atteindre cette concentration était plus court (30 minutes contre 60 minutes ; p < 0,0025). La demi-vie terminale était également prolongée en cirrhose (13,85 heures contre 3,51 heures ; p < 0,001). La clairance orale apparente du vérapamil était réduite à 20 % de celle des patients sains (1,30 L/min (53,7 % de coefficient de variation) contre 6,38 L/min (36,3 % de coefficient de variation) ; p < 0,001), tandis que la biodisponibilité absolue était augmentée de manière significative (52,33 % (25,4 % de coefficient de variation) contre 22,0 % (35,4 % de coefficient de variation) ; p < 0,001). Les auteurs suggèrent de réduire la dose orale d’un facteur de 5 en cas d'insuffisance hépatique. Enfin, au niveau de l’impact sur l’ECG, l’effet maximal du vérapamil oral sur l’intervalle PR (Rmax) était nettement plus prononcé chez les cirrhotiques (41,6 % (44,2 % de coefficient de variation) contre 15,4 % (40,8 % de coefficient de variation) ; p < 0,005). Toutefois, la concentration plasmatique de vérapamil au moment de l’effet maximal sur l’intervalle PR (CRmax) n’était pas significativement différente entre les groupes (93,8 ng/mL (30,5 % de coefficient de variation) chez les cirrhotiques contre 59,9 ng/mL (64,8 % de coefficient de variation) chez les patients sains). Les auteurs ont aussi trouvé que l’effet IV maximal du vérapamil chez les cirrhotiques était observé environ 0,5 heure plus tard que chez les patients sains, chevauchant ainsi l’effet de la dose orale. La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. Selon eux, les cliniciens doivent donc être plus attentifs au délai de survenue de l’effet maximal du vérapamil en insuffisance hépatique. (Somogyi 1981)
Woodcock et collaborateurs ont examiné la pharmacocinétique du vérapamil chez 4 patients atteints d’insuffisance hépatique et 1 patient atteint de stéatose hépatique ainsi que chez 4 patients sains. Les quatre patients souffrant de cirrhose avaient reçu un diagnostic par biopsie (1 cirrhose alcoolique, 1 cirrhose biliaire primaire avec splénomégalie importante, et 2 cas d'étiologie non précisée), tandis qu'un patient souffrait de stéatose hépatique alcoolique. Le score Child-Pugh n’a pas été calculé dans cette étude, mais à partir des données fournies par les auteurs, le degré de cirrhose estimé pour les patients était de niveau modéré (Child-Pugh B). Tous les groupes ont reçu une dose de vérapamil 5 mg intraveineux (IV) administrée en 5 minutes (10 mg pour un patient sain). Pour les doses orales, 4 patients cirrhotiques et 2 patients sains ont reçu une dose unique de 80 mg. Les doses IV étaient toujours administrées avant les doses orales, avec un intervalle de 2 semaines entre les doses (6 semaines pour un patient cirrhotique). Les prises de sang ont été collectées pendant les premières 12 heures pour la majorité des patients, mais chez les patients insuffisants hépatiques, elles se sont prolongées jusqu’à 48 heures. Pour les résultats de la dose IV, chez les patients cirrhotiques, l’aire sous la courbe (AUC) était significativement plus élevée (10699 ± 4858 ng*min/mL contre 3277 ± 496 ng*min/mL ; p < 0,02). Le volume de distribution apparent était également plus grand chez les cirrhotiques (481 ± 141 L contre 296 ± 67 L ; p < 0,05). La clairance plasmatique totale était réduite chez les cirrhotiques (0,545 ± 0,181 L/min contre 1,571 ± 0,405 L/min ; p < 0,005), ce qui a entraîné un allongement significatif de la demi-vie terminale (815 ± 516 min contre 170 ± 72 min ; p < 0,05). Les résultats des doses orales sont détaillés pour chacun des 4 patients cirrhotiques et des 2 patients sains dans le tableau 3 de l’étude. Toutefois, les moyennes des ASC, de la clairance systémique, de la clairance intrinsèque, du flux sanguin hépatique apparent, de la biodisponibilité et de l’extraction hépatique de premier passage (E) ne sont pas calculées ou comparées dans l’étude. Les auteurs notent néanmoins que la clairance systémique des 4 patients cirrhotiques était inférieure à celle des 2 patients sains. Une forte corrélation linéaire a été observée entre la clairance systémique du vérapamil et le flux sanguin hépatique apparent chez tous les patients (r = 0,99 ; coefficient de régression = 0,87), à l’exception d’un patient cirrhotique qui n'a pas suivi la tendance linéaire, probablement en raison d’une hypertension portale marquée, suggérant la présence de shunts hépatiques selon les auteurs. La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. Bref, les résultats montrent que la clairance systémique du vérapamil est diminuée chez les patients cirrhotiques, tant pour les doses IV que pour les doses orales, entraînant une demi-vie plus longue. Les auteurs concluent que ces altérations pharmacocinétiques doivent être prises en compte lors de l'administration du vérapamil chez les patients présentant une insuffisance hépatique. (Woodcock 1981)
Finucci et collaborateurs ont étudié la pharmacocinétique du vérapamil chez 7 patients atteints de cirrhose, en se concentrant sur l'extraction hépatique (E) et le flux plasmatique hépatique (FPH) pour déterminer son effet sur la clairance intrinsèque (CLI). Les 7 patients (5 hommes et 2 femmes, âge moyen de 45 ± 12 ans) avaient tous un diagnostic de cirrhose confirmé par biopsie, mais leur score Child-Pugh n’était pas mentionné dans cette étude. Une dose intraveineuse de 5 mg de vérapamil a été administrée sur 5 minutes, et les concentrations plasmatiques ont été mesurées à partir de l'artère et de la veine hépatique. Les résultats de l'étude ont été comparés à des valeurs de référence issues de la littérature et aux résultats obtenus par Woodcock et collaborateurs. Le FPH était en moyenne de 819 ± 318 mL/min, ce qui correspond aux valeurs normales de 800 - 900 mL/min selon l’Institut of Clinical Medicine de l’Université de Padova. Le coefficient d’extraction (E) était en moyenne de 58 ± 22 %, nettement inférieure à la valeur de 0,87 observée par Woodcock et collaborateurs. La clairance plasmatique hépatique (CLH) était en moyenne de 423 ± 92 mL/min, réduite d’environ 50 % par rapport à la valeur normale de 800 mL/min. La clairance intrinsèque (CLI) était en moyenne de 1434 ± 961 mL/min, diminuée d’environ 75 % par rapport à la valeur normale de 6000 mL/min. Une corrélation inverse a été trouvée entre le FPH et l’E (r = 0,93 ; p < 0,01) et une corrélation directe a été observée entre l’E et la CLI (r = 0,94 ; p < 0,01). Aucune corrélation n’a été observée entre la CLH et le FPH, ni entre la CLH et l’E. La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. Les auteurs concluent que, bien que le flux plasmatique hépatique soit normal chez les patients cirrhotiques, la clairance intrinsèque et l'extraction hépatique du vérapamil sont significativement réduites. Cela suggère que la clairance du vérapamil est davantage influencée par le degré de cirrhose et la capacité du foie à extraire le médicament plutôt que par le flux sanguin hépatique seul. (Finucci 1988)
Vlček et collaborateurs ont étudié la pharmacocinétique du vérapamil et de son métabolite actif, le norvérapamil, chez 10 patients atteints d’hypertension portale comparés à 6 patients sains. Tous les patients atteints d’hypertension portale avaient un diagnostic de cirrhose confirmé par biopsie, répartis comme suit : 5 patients classés Child-Pugh A, 3 classés B, 1 classé B-C, et 1 classé C. L'échantillon comprenait 1 femme et 9 hommes, âgés de 19 à 69 ans. Chaque patient a reçu une dose orale unique de 80 mg de vérapamil après 12 heures de jeûne et 4 heures sans autre médication. Les auteurs n’ont pas observé de différences significatives dans les paramètres pharmacocinétiques en fonction des classifications Child-Pugh, ce qui a conduit à une analyse globale des patients cirrhotiques. La demi-vie du vérapamil était significativement plus longue chez les patients cirrhotiques (1384 ± 658 h) par rapport aux patients sains (210 ± 143 h), de même que celle du norvérapamil (1303 ± 299 h contre 662 ± 333 h). Bien que les valeurs de Cmax, Tmax et AUC du vérapamil et du norvérapamil n’aient pas montré de différences statistiquement significatives entre les deux groupes, les Cmax et Tmax étaient légèrement plus élevées chez les patients cirrhotiques. La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. (Vlček 1995)
Hadengue et collaborateurs ont évalué l'effet du vérapamil en association avec la kétansérine, ainsi que celui du propranolol avec la kétansérine, sur la réduction de la pression portale chez 17 patients atteints de cirrhose alcoolique. Tous les patients avaient un diagnostic de cirrhose confirmé par biopsie, avec des preuves histologiques de cirrhose alcoolique et la présence de varices œsophagiennes. Parmi eux, 4 étaient classés Child-Pugh A, 9 étaient classés B, et 4 étaient classés C. Sept patients ont reçu une dose intraveineuse de 10 mg de vérapamil, suivie 60 minutes plus tard de 5 mg de kétansérine. Le vérapamil a montré une tendance à réduire la fréquence cardiaque (variation de 7,0 ± 5,3 % par rapport à la valeur de référence) et à augmenter la pression veineuse hépatique libre (variation de 20,3 ± 18,1 %), bien que ces effets ne soient pas statistiquement significatifs. Il n'y a eu aucun impact sur le gradient de pression veineuse hépatique ni sur le flux sanguin azygos. De plus, les auteurs rapportent qu’aucun patient n'a présenté de symptômes ou de complications durant l’étude. Ils concluent que le vérapamil seul n'a pas d'effet significatif sur la réduction de la pression portale ou du flux sanguin collatéral chez les patients cirrhotiques alcooliques. (Hadengue 1989)
Vinel et collaborateurs ont évalué l'effet du vérapamil sur le gradient de pression porto-hépatique ainsi que sur la fonction hépatique, en mesurant la clairance hépatique intrinsèque, chez 19 patients atteints de cirrhose. Tous les patients avaient un diagnostic de cirrhose alcoolique et d'hypertension portale confirmé par biopsie. Le score moyen de Child-Pugh dans l'étude était de 8,5 ± 1,9, correspondant à une classe B. Chaque patient a reçu une dose unique de 10 mg de vérapamil par voie intraveineuse. Il n’y avait pas de variation significative de la pression artérielle systolique avant et après l’administration du vérapamil (14,3 ± 1,6 mm Hg vs 14,3 ± 1,7 mm Hg). Cependant, la fréquence cardiaque a significativement diminué après l'administration du vérapamil (76,4 ± 14,2 bpm vs 73,0 ± 13,8 bpm ; p < 0,05). La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. Aucune différence n’a été observée dans les changements du gradient de pression porto-hépatique, du flux sanguin hépatique ou de la clairance hépatique intrinsèque. Ainsi, les auteurs concluent qu'il n'y a aucun bénéfice sur le gradient de la pression porto-hépatique et sur la fonction hépatique suite à l'administration de vérapamil chez les patients atteints de cirrhose alcoolique. (Vinel 1989)
Une autre étude, menée par Navasa et collaborateurs, a évalué l'effet du vérapamil sur les paramètres hémodynamiques hépatiques et systémiques chez 10 patients souffrant d'hypertension portale due à une cirrhose micronodulaire avancée. Parmi ces patients, 7 présentaient une cirrhose alcoolique et 3 une cirrhose micronodulaire cryptogénique, confirmée par biopsie. Tous avaient des antécédents de varices œsophagiennes, et tous, sauf 2, ont été hospitalisés pour un saignement de ces varices. De plus, 5 patients présentaient de l'ascite. Le score Child-Pugh n'a pas été mentionné dans l'étude, mais à partir des données fournies par les auteurs, le degré de cirrhose estimé pour les patients était de niveau modéré jusqu’à sévère (Child-Pugh B/C). Les patients ont reçu une dose unique de 100 mg de vérapamil à libération immédiate sous forme liquide par voie orale. Après administration, une réduction significative de la pression artérielle (-8,1 ± 7,6 % ; p < 0,025) et de la résistance vasculaire systémique (-12,5 ± 9,5 % ; p < 0,001) a été observée, ainsi qu'une augmentation de la fréquence cardiaque (+13,9 ± 10,4 % ; p < 0,01). La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. Toutefois, aucun effet bénéfique n'a été noté sur la pression portale, le flux sanguin hépatique ou la résistance vasculaire hépatique. De plus, aucune modification du flux sanguin portal ou de la clairance hépatique intrinsèque n'a été constatée chez les 6 patients évalués. Les auteurs concluent donc qu'il n'y a aucun effet bénéfique sur le gradient de la pression porto-hépatique et sur la fonction hépatique suite à l’administration du vérapamil chez les patients atteints de cirrhose avancée. (Navasa 1988)
Dinç et collaborateurs ont étudié par échographie doppler l'effet du vérapamil sur la pression portale et la circulation splanchnique chez 14 patients atteints de cirrhose avancée suite à une infection au virus de l’hépatite B. Le diagnostic de cirrhose a été établi par biopsie et à partir de données cliniques et de laboratoire. Tous les patients, exclusivement des hommes âgés de 14 à 67 ans, avaient un score Child-Pugh de classe C. Une dose unique de 80 mg de vérapamil administrée par voie orale a été donnée à tous les patients. L'étude a révélé que l'administration de vérapamil a entraîné une diminution significative de la pression artérielle systolique et diastolique (diminution de 8 % et 9 %, respectivement, p < 0,0001) ainsi que des effets vasodilatateurs au niveau de la circulation splanchnique, portale, splénique, portocollatérale, et probablement intrahépatique, chez ces patients atteints de cirrhose hépatique avancée post-hépatite. La tolérance au vérapamil n’a pas été discutée dans l’étude. (Dinç 1996)
Deux rapports de cas rapportent des effets indésirables graves du vérapamil chez des patients atteints d'insuffisance hépatique. Stehle et collaborateurs décrivent un homme de 57 ans, cirrhotique après 30 ans de consommation chronique d'alcool, présentant un choc cardiogénique. Il prenait 240 mg/jour de vérapamil pour une tachyarythmie récurrente ainsi que de la digoxine (dose non spécifiée). Admis inconscient et cyanotique aux soins intensifs, il présentait une pression artérielle inférieure à 50 mm Hg, une fréquence cardiaque stabilisée à 70 bpm grâce à un pacemaker, une acidocétose sévère, une hypovolémie, une hyperkaliémie, une hypothermie et une insuffisance rénale. Le vérapamil plasmatique atteignait 1,9 mg/L (toxique > 1,5 mg/L, thérapeutique < 0,1 mg/L) tandis que le taux plasmatique de digitale était légèrement élevé (valeur non précisée dans le rapport de cas). Quatre semaines avant l'admission, le patient avait ressenti une détérioration générale, des étourdissements et de la dyspnée, sans consommation d'alcool, mais poursuivant la prise de vérapamil et de digitale. Les auteurs concluent que la cirrhose a conduit à des concentrations toxiques de vérapamil, provoquant un choc cardiogénique. (Stehle 1981) Sakurai et collaborateurs rapportent un choc cardiogénique chez une femme de 72 ans, hypertendue et cirrhotique, admise pour palpitations. Son ECG montrait une fibrillation auriculaire spontanément résolue en rythme sinusal, suivie d'un arrêt sinusal avec un intervalle RR prolongé. L’échocardiographie révélait une hypertrophie bénigne du ventricule gauche avec une FEVG normale (74 %). Après traitement par vérapamil IV, elle a continué le traitement par voie orale (160 mg/jour). Deux semaines plus tard, l’ajout d’aténolol (25 mg/jour) a rétabli le rythme normal, mais elle a ensuite développé une hypotension et une congestion pulmonaire six heures après l'ingestion des deux médicaments. Elle a évolué vers un choc cardiogénique. Du furosémide (40 mg) en IV, ainsi que de la dopamine et de la dobutamine ont été administrés, mais la pression systolique a continué de chuter jusqu'à 40 à 50 mmHg. La patiente a perdu connaissance et a fait un arrêt cardio-respiratoire, nécessitant une intubation. Malgré des doses élevées de catécholamines (dopamine, dobutamine et norépinéphrine) et de bicarbonate de sodium, sa pression systolique n'a pas pu être maintenue au-dessus de 60 mmHg. Seule l'administration de bolus de chlorure de calcium a permis une élévation de la pression aortique au-dessus de 120 mmHg, résolvant le collapsus hémodynamique. Les auteurs estiment que la cirrhose et l'insuffisance rénale ont altéré l’élimination du vérapamil, augmentant son effet, tandis que l'aténolol a accentué la suppression myocardique. (Sakurai 2000)
En conclusion, à partir des données disponibles à ce jour, il n’est pas recommandé d’initier ou de maintenir un traitement par vérapamil chez les patients cirrhotiques de degré léger à sévère. Les paramètres pharmacocinétiques du vérapamil sont fortement altérés, même à un stade léger de la maladie. Chez les patients atteints de cirrhose sévère, l’utilisation du vérapamil ne peut pas être recommandé étant donné l’absence de données sur son profil pharmacocinétique, bien que certaines données sur l'exposition au médicament à ce stade avancé existent. Il est également important de noter que la plupart des données disponibles proviennent d'études sur des doses uniques de vérapamil, souvent administrées par voie IV, ce qui contourne le premier passage hépatique. En fonction de l'indication, il peut être préférable de privilégier des alternatives mieux étudiées dans le contexte de la cirrhose, telles que les bêta-bloqueurs non sélectifs, qui offrent également des avantages sur les complications liées à cette maladie.